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La Trinité selon le Coran et en Islam ; S4.V171

Cet article est le quatrième et dernier consacré à Jésus. Nous avons vu dans un premier temps que selon le Coran la Crucifixion de Jésus a réellement eu lieu. Cependant, Jésus n’est mort en croix que de par une volonté de Dieu de donner la mort à son enveloppe charnelle tandis que son esprit a été élevé vers Dieu. Par suite, nous avons montré que le Retour de Jésus sur Terre à la Fin des temps n’était pas coraniquement envisageable et que cette croyance, adoptée et recyclée par l’Islam, était sans soutien scripturaire coranique. À partir de la lecture particulière par le Coran de ces évènements, nous avons montré qu’étaient ainsi remis en question nombre des concepts fondamentaux du christianisme.[1] Pour autant, rien en cette approche coranique n’était vraiment à charge contre le christianisme et nous avons démontré que le Coran, contrairement à ce que l’Islam et l’islamologie soutiennent, ne critiquait pas la Trinité mais le trithéisme d’hérésies plus ou moins chrétiennes présentes en Arabie, voir :  les trinités selon le Coran et en Islam. Ce faisant, il nous reste donc à établir qu’elle est la position réelle du Coran quant à la Trinité sachant qu’il ne fait aucun doute par ailleurs à ce que le texte coranique reconnaisse sans ambiguïté la validité des religions monothéistes[2]  existantes à son époque, dont le christianisme post-chalcédonien, c’est-à-dire actuel.

 

• Que dit l’Islam

En notre étude sur les trinités, nous avons souligné que l’Islam à partir du IIIe siècle de l’Hégire ne cherchait plus à distinguer les hérésies trinitaires et la Trinité. Ainsi,  il fut possible d’entretenir jusqu’à nos jours la confusion quant à la critique coranique avérée de certaines trinités et la critique de la Trinité selon la volonté propre de l’Islam au service de sa cause apologétique anti-chrétienne. En ces conditions, la tendance générale est de chercher à assimiler la Trinité à du trithéisme, autrement dit à du polythéisme. L’accusation est lourde, elle disqualifie le christianisme, assoit l’exclusivisme religieux et dogmatique islamique, grève le dialogue interreligieux de même que le vivre-ensemble. Cette surinterprétation orientée a soulevé de nombreuses difficultés théologiques et, le moins que l’on puisse dire, c’est que le positionnement de l’Islam en la matière est aussi inconfortable qu’embarrassé. Plus grave, l’indistinction exégétique ainsi mise en œuvre a généré des contradictions intra-coraniques permettant de taxer le Coran d’ignorance théologique. Nous avons rectifié ces fausses contradictions en l’article consacré  à l’analyse des versets impliqués dans la critique des trinités selon le Coran et en Islam et il en sera de même présentement.

 

• Que dit le Coran

Avant d’envisager le sujet, il convient de rappeler la définition de la Trinité selon le christianisme post-chalcédonien.[3]  Ce concept  de Trinité [auquel à présent nous nous référerons par les termes Trinité, christianisme, chrétien, trinitaire, foi chrétienne] n’est pas un trithéisme, mais une Trinité unique consubstantielle ou Tri-Unité, énoncée sans ambiguïté comme suit : « Nous ne confessons pas trois dieux, mais un seul Dieu en trois personnes »[4] et Dieu et le Fils et l’Esprit-Saint sont trois hypostases d’une seule et même entité divine : Dieu en tant qu’essence unique sans changement, sans division et sans séparation.

– Si l’on exclut bien évidemment les versets improprement mis en jeu par l’Islam alors qu’ils ne concernaient que la condamnation de certaines hérésies chrétiennes,[5] un seul verset coranique est réellement consacré à la question de la Trinité : « Ô Gens du Livre ! N’outrepassez point en votre foi et ne dites de Dieu que le vrai : En vérité, le Messie, Jésus fils de Marie est un messager de Dieu, Son Verbe projeté en Marie et un Esprit émanant de Lui. Croyez donc en Dieu et Ses messagers et ne dites point : « Il est trois  » ! Abstenez-vous, cela serait meilleur pour vous, Dieu est seulement Déité une. De par Sa transcendance il ne peut avoir de fils ! À lui ce qui est en les Cieux et sur la Terre, et Dieu suffit comme garant ! » S4.V171.[6]

1- Respect de la foi trinitaire chrétienne

Contextuellement, ce verset s’inscrit à la suite de la controverse quant à Jésus aux vs157-159 que nous avons étudiés précédemment.[7] Il fait écho à l’aspect par trop spéculatif de la théologie chrétienne qui avait déjà été signalé au v157 : « …et, vraiment, ceux qui ont polémiqué quant à cela sont certes dans le doute à son sujet [Jésus]. Ils n’ont de lui d’autre connaissance qu’une suite de conjectures…» Ceci, en introduction de la conclusion de S4, est donc repris ainsi : « Ô Gens du Livre ! N’outrepassez point votre foi et ne dites de Dieu que le vrai ». Par « Gens du Livre », l’on doit donc entendre uniquement les chrétiens et, tout comme nous avions fait remarqué l’absence de marqueur d’identification au sujet de la critique des trinités par le Coran, nous constatons que concernant l’approche de la Trinité les allocutaires sont nominativement spécifiés : les « Gens du Livre ». L’on notera d’emblée que la formulation coranique « n’outrepassez point en votre foi » n’est ni un blâme ni une interdiction ni un ordre, elle ne constitue pas une condamnation de la Trinité plus avant évoquée en ces termes :  « Il est trois ». En effet, il est ici clairement reconnu la foi chrétienne : « en votre foi/dîn[8] », tout en signalant le caractère spéculatif de la théologie trinitaire qui par sa complexité peut selon le Coran perturber une bonne compréhension de la foi monothéiste incluse dans le segment « ne dites de Dieu que le vrai ». Du reste, les difficultés théologiques de la Trinité ne sont-elles pas désignées en chrétienté par l’euphémistique notion de « Mystère de la Trinité ». Notons de même que la remarque coranique « ne dites de Dieu que le vrai » n’affirme pas pour autant que le dogme trinitaire soit dans le faux.

2- Définition de Jésus et Trinité

En conséquence de ce qui précède, le Coran donne dans la foulée une définition de Jésus, nature et fonction, que l’on peut qualifier de consensuelle, c’est-à-dire dans le respect de la ligne monothéiste : « en vérité, le Messie, Jésus fils de Marie est un messager de Dieu, Son Verbe projeté en Marie et un Esprit émanant de Lui. ».

Jésus le Messie. Dans le Coran, seul Jésus porte le qualificatif de « Messie » au sens de l’Oint/christos, en arabe al–masîḥ/le messie ayant la même signification : le libérateur investi d’une mission divine, Messie à qui Dieu « enseignera le Jugement, la Sagesse, la Thora et l’Évangile », S3.V48. Il fait ainsi la jonction avec le judaïsme qu’il est venu réformer : « Je suis de plus confirmateur de ce que fut la Thora et je vous rendrais donc permis une partie de qui vous avait été interdit », S3.V50, et le phénomène religieux que sa venue générera : « Nous suscitâmes Jésus fils de Marie et lui conférâmes l’Évangile et mîmes en les cœurs de ceux qui le suivirent douceur et miséricorde », S57.V27.

Jésus le messager. Jésus est aussi « un messager/rasûl » de Dieu : « Le Messie, fils de Marie, n’est qu’un messager, ont passé avant lui les messagers », S5.V75. Jésus est messager de Dieu tant pour les juifs à son époque : « il [Jésus] sera un messager envoyé aux Fils d’Israël », S3.V49, que pour les chrétiens à venir et de même pour les musulmans. Selon la terminologie coranique,[9] cela signifie qu’il a été chargé de délivrer aux hommes un message révélé par Dieu : « n’ont été révélés la Thora et l’Évangile que bien après lui [Abraham] », S3.V65. Or, ce message n’est pour le Coran jamais rien d’autre que le rappel de la foi monothéiste : « leur vinrent les messagers de toutes parts : N’adorez que Dieu », S41.V14, foi monothéiste partagée par les juifs, les chrétiens et les musulmans.

 Jésus Verbe de Dieu.  Ce point est important, il définit Jésus en tant que « Son Verbe », c’est-à-dire le Verbe de Dieu, caractéristique que le Coran n’attribue à aucun autre prophète. Par « Verbe », nous traduisons l’arabe kalima, car ici le rapport entre ce terme et le concept chrétien de logos[10] est évident. Toutefois, à ceci prés que le logos chrétien est Dieu Lui-même alors que selon la construction coranique kalimatu-hu le pronom « hu » représente Dieu, ce qui suppose que Dieu est distinct de « Son Verbe » et donc Jésus distinct de Dieu. Le lien malgré tout ainsi souligné reconnaît la nature particulière et unique de Jésus en tant que réceptacle du Verbe divin : « projeté en Marie ». Cependant, les exégètes musulmans s’ombragèrent de ce que le Coran puisse témoigner, même si cela est à minima et contingenté, de cette notion spécifiquement chrétienne. En effet, à leurs yeux cela pouvait supposer que Dieu se serait incarné en Jésus, ce qui n’est bien évidemment le point de vue chrétien. Malgré tout, l’Exégèse a intentionnellement fait observer que le segment wa kalimatu-hu alqâ-hâ ilâ maryam se prêtait à une double lecture, celle que nous suivons : « [Jésus est] Son Verbe/kalima projeté en Marie », mais surtout la suivante : « Jésus est la parole de Dieu qu’Il a projetée en Marie » que la traduction standard rend ainsi : « Sa parole qu’il envoya à Marie ». Dans l’esprit des commentateurs cette compréhension est alors à relier à S3.V47, verset en lequel il est évoqué pour la conception de Jésus la parole existentiatrice de Dieu : « lorsqu’Il décide d’une chose, il n’a qu’à dire à son propos : Sois/kun ! et elle est/fa-yakun ». Ce serait donc cette parole/kalima que Dieu aurait « projeté en Marie » pour générer Jésus de manière sur-naturelle. Mais, pour exacte syntaxiquement et grammaticalement que soit cette lecture, elle contrevient à la logique du verset dont l’objectif est d’évoquer point par point les attributs dogmatiques chrétiens relatifs à Jésus, en ce cas l’épisode de la conception miraculeuse de Jésus mis en parallèle par l’Exégèse est hors sujet. De plus, notre lecture se trouve confirmée par S3.V45 dont la formulation est cette fois-ci univoque : « Ô Marie ! Dieu t’annonce un Verbe/kalima de/min Lui/hu, il s’appellera le Messie Jésus fils de Marie… »

Jésus Esprit de Dieu.  Selon la logique du propos, par la locution « et un Esprit émanant de Lui » il est visiblement fait allusion à la troisième Personne/hypostase de la Trinité. Précisons d’emblée que dans le Coran les termes nafs/âme/être/pronom personnel réfléchi et ruḥ/esprit/souffle ne sont pas synonymes. Plus spécifiquement, et contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, ce n’est pas l’expression Esprit-Saint/rûḥ al–qudus qui est ici employée, mais seulement le terme rûḥ selon la formule wa rûḥ min-hu où, à nouveau, le pronom « hu » représente Dieu, distinguant ainsi ce rûḥ/esprit divin de Dieu Lui-même puisque dit « émanant de Lui/min-hu ». Par contre, il est bien spécifié que Jésus est cet « Esprit émanant de Lui », ce qui le distingue de toute autre créature, car cet énoncé ne se retrouve dans le Coran qu’à son sujet. Pour autant, cette formulation coranique implique précisément que Jésus, malgré ce don de Dieu, ne participe en rien au divin. De même, le Coran n’opère aucun rapprochement entre l’Esprit-Saint/rûḥ al–qudus et la Trinité tel que le christianisme la conçoit. En effet, dans le Coran, l’Esprit-Saint/rûḥ al–qudus est une autre entité qui en trois occurrences assiste Jésus, S2.V87 ; S2.V253, S5.V110. Or, en S16.V102 ce même Esprit-Saint/rûḥ al–qudus est l’effecteur de la révélation reçue par Muhammad, entité nommée aussi en S26.V193 l’Esprit fidèle/ar–rûḥ al–amîn lequel est identifié en S2.V97 à l’Archange Gabriel. Nous pourrions donc en déduire que Gabriel en tant que l’Esprit-Saint/rûḥ al–qudus assista Jésus quant à l’Évangile. Malgré tout, si donc  l’Esprit-Saint n’est pas l’Esprit qu’est Jésus : « un Esprit émanant de Lui », le Coran ne nous éclaire pas réellement sur la nature de cet Esprit et de son rapport avec la personne physique de Jésus. Il est ainsi laissé un espace interprétatif attestant d’une non-critique frontale du troisième aspect de la Trinité chrétienne tout en posant les bases d’une autre lecture du phénomène Jésus.

3- La Trinité

– En notre verset, le seul qui soit en lien avec la Trinité rappelons-le, la définition selon le Coran de Jésus dans ce contexte est donc la suivante : Jésus  est le « Messie », « messager » de Dieu, porteur de l’Évangile, « Verbe » de Dieu et « Esprit émanant de Lui ». Nous avons montré que cette définition coranique de Jésus demeure compatible avec la définition trinitaire tout en établissant des limites théologiques à ne pas dépasser. Ceci ayant été explicitement présenté, le Coran adresse alors aux chrétiens trinitaires le message suivant : « croyez donc en Dieu et Ses messagers[11] et ne dites point : Il est trois ». Bien évidement, l’ordre « croyez donc en Dieu » ne signifie pas que les chrétiens n’y croyaient pas, mais que par leur formulation « Il est trois » ils compliquent inutilement et à risque la notion d’unicité divine à laquelle ils ont pourtant foi. Conseil, car c’en est un,  reprenant celui donné en l’introduction du verset : « n’outrepassez point votre foi ».

– Pour le Coran, la difficulté en la foi chrétienne repose sur l’aspect trop spéculatif de la théologie trinitaire, d’où : « ne dites point : Il est trois ». Le texte arabe porte uniquement « thalâthatun/trois », ce qui a permis d’affirmer de manière grossière qu’était ainsi dénoncé le trithéisme des chrétiens, ce qui est aussi absurde que mal intentionné. Par « « thalâthatun/Il est trois »[12] est définie de manière simple la Trinité,[13] le chiffre trois visant la formulation trinitaire : « un seul Dieu d’essence unique et indivisible. Dieu et le Fils et le Saint-Esprit sont les trois Personnes, c’est-à-dire hypostases, d’une seule et même entité divine. » La foi chrétienne est donc fondamentalement monothéiste, mais ce que le Coran signale ici est que la thèse de « trois » hypostases du Dieu unique est si complexe et rationnellement délicate à justifier que le christianisme lui-même la qualifie de Mystère de la Sainte Trinité. Sans pour autant condamner la Trinité, le Coran conseille alors : « abstenez-vous, cela serait meilleur pour vous » et il serait préférable que vous en reveniez à l’essentiel de votre foi monothéiste puisque « Dieu est seulement Déité une ».[14] Puisque vous croyez en « un seul Dieu d’essence unique et indivisible », alors vous savez que la raison simple peut l’emporter, car  : « de par Sa transcendance il ne peut avoir de fils ».[15] Nous aurons donc noté que le Coran ne débat pas de la croyance en trois hypostases de Dieu, c’est-à-dire sur la forme qu’il ne remet pas directement en cause, mais qu’il argumente uniquement et positivement sur le fond, c’est-à-dire le monothéisme.

– Au final, ce verset n’est en rien une condamnation de la Trinité puisque les modulateurs  « abstenez-vous » ; « cela serait meilleur pour vous »[16] et « Dieu suffit comme garant » l’indiquent sans ambiguïté et que l’on peut les comparer sans peine à la démarche inverse des formulations coraniques condamnant les trinités : « ils sont vraiment dénégateurs ceux qui disent » par exemple que « Dieu est le Messie, fils de Marie », S5.V72. Tout en acceptant la foi chrétienne trinitaire, par l’exhortation « Ô Gens du Livre ! N’outrepassez point en votre foi » le Coran appelle donc les chrétiens à la modération théologique, invitation par ailleurs réitérée: « Dis : Ô Gens du Livre ! N’outrepassez point votre foi, sans vérité aucune, et ne suivez point la passion de gens [les théologiens spéculatifs]  qui se sont égarés auparavant et ont grandement égaré en s’écartant du milieu du chemin.[17] »[18] Contextuellement, ce verset est un rappel historique et un appel lancé aux chrétiens trinitaires après avoir indiqué aux vs72-73 à quelles hérésies trinitaires avaient mené de telles spéculations. Il est donc juste de parler d’un respect critique de la Trinité établi par le Coran, critique des dérives théologiques et respect de la foi chrétienne. En toute rigueur, ce positionnement équilibré amène donc  le Coran à inviter les chrétiens trinitaires à ce qui est le socle commun entre les religions monothéistes : « Dis : Ô Gens du Livre ! Venez-en à une parole égale pour nous et pour vous : que nous n’adorions que Dieu, sans rien Lui associer, et que les uns comme les autres nous ne prenions point maîtres[19] en dehors de Dieu. Si alors ils se détournent, dites : « Prenez acte de ce que nous Lui sommes entièrement assujettis.[20]», S3.V64.[21] À bien considérer, rien en la formulation « que nous n’adorions que Dieu, sans rien Lui associer » n’est incompatible avec le fondement doctrinal trinitaire qui se définit lui-même comme monothéiste : « Nous ne confessons pas trois dieux, mais un seul Dieu ».[22]

 

• Conclusion

L’analyse littérale de S4.V171 aura donc montré que le Coran ne rejette pas le concept théologique central du christianisme : la Trinité, alors même qu’il avait précisément récusé un certain nombre de trinités d’hérésies chrétiennes présentes à l’époque en Arabie.[23]  Nous l’avons souligné, ce verset reprend les trois articles de la formulation trinitaire tout en leur donnant un sens restrictif. Il s’agit donc clairement, non pas d’une condamnation globale de la Trinité, mais d’une mise en garde contre les dérives dogmatiques que ce concept a par le passé généré et les difficultés inhérentes à une telle approche vis-à-vis de la foi monothéiste, foi que néanmoins le Coran reconnaît être fondamentalement celle des chrétiens. 

Globalement, la position du Coran quant à la Trinité est conciliante. De ce fait,  notre v171 confirme que Jésus est le « Messie », « messager » de Dieu et porteur de l’Évangile, « Verbe » de Dieu et « Esprit émanant de Lui », tout en fixant des limites à la signification de ces définitions. Cette bienveillance affichée est cohérente puisque d’autre part le Coran reconnaît la Pluralité religieuse et le Salut universel. De même, l’Islam est cohérent lorsqu’il entretient la confusion entre trinités hérétiques et Trinité chrétienne puisque de la sorte il assimile le christianisme à une forme plus ou moins cachée de polythéisme. Cette altération exégétique du Coran par l’Islam lui permet d’alimenter indûment sa conception apologétique exclusiviste selon laquelle la seule religion agrée par Dieu est l’Islam.[24] Cependant, par ce faisceau de surinterprétations, l’Islam a généré une grave contradiction interne coranique dont une des conséquences majeures est d’alimenter à bon compte, nous en avons discuté, les différents partis ayant comme objectif savant de discréditer la validité coranique. Du fait des affirmations de l’Islam en la matière, le Coran devient ainsi soit ignorant de la théologie chrétienne, soit incohérent. L’enjeu d’une approche exégétique objective et rigoureuse de la Trinité selon le Coran est donc double : rétablir la cohérence coranique et établir la base coranique  du respect et du dialogue interreligieux. Inversement, toute mécompréhension de la démarche du Coran quant à la Trinité instille l’irrespect et l’exclusion. En somme, l’esprit du Coran est de mettre en avant, au nom de l’universalité de la foi, ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare.

En synthèse, lorsque le Coran au sujet de la Trinité dit aux chrétiens que « ne dites point : « Il est trois  » ! Abstenez-vous, cela serait meilleur pour vous, Dieu est seulement Déité une. », ce n’est ni un ordre ni une interdiction ni un blâme, mais un rappel indulgent et ouvert sur le fait que la doctrine trinitaire est en elle-même source de confusion et de perte de sens de l’unicité divine à laquelle il est reconnu que les chrétiens croient indubitablement. C’est le cœur de la problématique : comment concilier l’unicité de l’essence divine et trois hypostases supposées distinctes sans que cette unicité ne soit affectée en sa quiddité ? Il est donc conseillé d’éviter trop de spéculations théologiques et dogmatiques. Enfin, le v173 confirme que « ceux qui auront cru et agi en bien », ici les chrétiens, seront pleinement récompensés par Dieu au Jour du Jugement. Cette reconnaissance du christianisme trinitaire amène à une ouverture à la foi universelle selon un verset qui au demeurant conclut[25] la sourate IV : « Alors, ceux qui croient et se lient à Dieu, Il les fera bénéficier d’une miséricorde et d’une grâce de Sa part et les guidera vers Lui en une voie de rectitude. »[26]

Dr al Ajamî

 


[1] Citons : les conditions de la mort de Jésus, sa résurrection, son Ascension vers Dieu corps et esprit, la Rédemption des péchés par le sacrifice de Jésus et la Pentecôte, c’est-à-dire la redescente de l’Esprit de Dieu sur les apôtres.

[2] Voir : La Pluralité religieuse ; Le Salut Universel ; La meilleure Communauté.

[3] Nous entendons ainsi la définition de la Trinité commune à l’Église de Rome, à l’Église orthodoxe, aux patriarcats d’Alexandrie, d’Antioche, et de Jérusalem.

[4] Définition instituée au deuxième Concile œcuménique de Constantinople en 553.

[6] S4.V171 :

يَا أَهْلَ الْكِتَابِ لَا تَغْلُوا فِي دِينِكُمْ وَلَا تَقُولُوا عَلَى اللَّهِ إِلَّا الْحَقَّ إِنَّمَا الْمَسِيحُ عِيسَى ابْنُ مَرْيَمَ رَسُولُ اللَّهِ وَكَلِمَتُهُ أَلْقَاهَا إِلَى مَرْيَمَ وَرُوحٌ مِنْهُ فَآَمِنُوا بِاللَّهِ وَرُسُلِهِ وَلَا تَقُولُوا ثَلَاثَةٌ انْتَهُوا خَيْرًا لَكُمْ إِنَّمَا اللَّهُ إِلَهٌ وَاحِدٌ سُبْحَانَهُ أَنْ يَكُونَ لَهُ وَلَدٌ لَهُ مَا فِي السَّمَاوَاتِ وَمَا فِي الْأَرْضِ وَكَفَى بِاللَّهِ وَكِيلًا

[8] Cf. : Le terme dîn selon le Coran et en Islam. L’on ne peut ici traduire dîn par religion puisque ce serait en ce verset reconnaître qu’il existe alors une forme juste ou vraie de religion chrétienne, rites et cultes, alors que le propos est ici uniquement les errements dogmatiques, ce qui relève de la théologie et de la question de la foi. De fait, jamais le Coran ne traite de la forme religieuse, mais du fond : la croyance, à l’aune d’un seul critère, le monothéisme strict.

[9] Voir : Muhammad Sceau des prophètes, article où nous avons traité de la terminologie coranique : rasûl, nabiy, mursal.

[10] Notons que le terme grec logos signifie à l’origine parole, tout comme kalima.

[11] L’on remarquera l’emploi du pluriel messagers/rusul là où l’on aurait pu s’attendre à un singulier messager/rasûl en tant que désignant Jésus. Ce glissement sémantique renvoie au propos commun de tous les messagers de Dieu qui selon le Coran prêchèrent le monothéisme, sous-entendant qu’il en fut donc ainsi pour Jésus. Le Coran vise constamment à rattacher les différentes expressions de la foi monothéiste au tronc commun de la lignée prophétique, ce qui reflète son universalisme et suppose un respect interreligieux réel. Sans doute aussi que ce passage au pluriel indique contextuellement que les chrétiens devraient aussi croire que Muhammad est bien un des prophètes de Dieu inscrit en la lignée prophétique comme l’indique les vs163-166 de cette même sourate.

[12] « thalâthatun » en apparence la mention du chiffre trois, mais le fait que ce terme soit à l’accusatif et qu’il constitue à lui seul la phrase supposée établir le contenu visé par l’ordre : « ne dites point » lui confère nettement une fonction de phrase nominale, en ce cas le verbe être est nécessairement sous-entendu, d’où nôtre : « Il est trois ». En un texte de haute densité théologique qu’est ce verset, l’on pourrait se demander quelle faiblesse aurait justifié que l’on ait réduit la trinité à un simple dénombrement : « Trois ! ». Seule l’approche réductrice antichrétienne de l’exégèse musulmane, classique comme contemporaine, justifie un tel procédé de dénigrement et d’appauvrissement rhétorique.  

[13] En : Les trinités selon le Coran et en Islam, nous avons indiqué que les termes techniques tathlîth ou thâlûth désignant la trinité étaient postérieurs au Coran.

[14] « Dieu est Déité une ». En un contexte de teneur théologique, le terme déité au sens de caractère divin, ce qui relève de l’essence divine, nous paraît correspondre à l’utilisation néologique et très théologique que le Coran fait du mot ilâh en ce type de formulation niant l’existence de toute nature divine en dehors de celle de Dieu et, tout particulièrement, en ce verset. Rappelons que les Arabes employaient le mot ilâh pour désigner une divinité adorée avec principalement le sens d’idole matérialisée. En tenant compte de ces remarques et dans le contexte d’un recentrage à l’essentiel du dogme trinitaire, il paraît plus juste en ce verset de traduire wâḥidun par « un/une » plutôt que par unique. Du reste, ce « wâḥidun » répond structurellement au « thalâtatun » précédent.

[15] Contextuellement, le terme walad signifie manifestement fils. Lorsque ce même terme concerne les croyances filiales des polythéistes arabes il prend le sens plus générique de progéniture comme nous l’avons vu en Les trinités selon le Coran et en Islam.

[16] En le syntagme intahû khayran lakum, l’adjectif khayran est au génitif d’où notre « cela serait meilleur pour vous » puisque cela ne peut se comprendre comme s’il était à l’accusatif : khayrun lakum qui se traduirait alors « abstenez-vous, cela est meilleur pour vous, nombre de traductions ne semblent pas mesurer la différence. 

[17] Signalons que traduire sawâ’i–s–sabîl par droit chemin ou chemin droit est incorrect.

[18] S5.V77 :

قُلْ يَا أَهْلَ الْكِتَابِ لَا تَغْلُوا فِي دِينِكُمْ غَيْرَ الْحَقِّ وَلَا تَتَّبِعُوا أَهْوَاءَ قَوْمٍ قَدْ ضَلُّوا مِنْ قَبْلُ وَأَضَلُّوا كَثِيرًا وَضَلُّوا عَنْ سَوَاءِ السَّبِيل

L’on note que les trois verbes de ce verset sont étymologiquement des verbes de mouvement concourants : ghalâ/dépasser les limites, outrepasser ; ḍallâ/s’écarter de la ligne droite ; aḍalla/égarer, ce qui revient à contrario à reconnaître un espace de foi vrai à la foi chrétienne, c’est-à-dire encadrée par des limites définissant une voie droite et une guidée auxquelles les chrétiens sont appelés à se conformer. Signalons que ce verset est systématiquement cité par les commentateurs musulmans en tant que preuve du fait que les chrétiens dans leur ensemble sont ceux que Dieu a désignés comme étant les égarés/aḍ–ḍâllîn en S1.V7, le contresens est évident.

[19] « maîtres » traduit le pluriel arbâb et non pas seigneurs. Ce qualificatif coranique des religieux n’est pas sans rappeler l’appellation juive rabbins de même logique étymologique. Nous retrouvons là cette mise en garde contre l’autorité cléricale en ce qu’elle est responsable des dérives théologiques par rapport à la simplicité du message monothéiste révélé.

[20] « assujettis », sens premier de muslimûn en tant que participe de aslama, voir : Le terme islâm selon le Coran : l’Islam-relation. Assujettis à Dieu en opposition avec l’assujettissement aux autorités religieuses.

[21] S3.V64 :

قُلْ يَا أَهْلَ الْكِتَابِ تَعَالَوْا إِلَى كَلِمَةٍ سَوَاءٍ بَيْنَنَا وَبَيْنَكُمْ أَلَّا نَعْبُدَ إِلَّا اللَّهَ وَلَا نُشْرِكَ بِهِ شَيْئًا وَلَا يَتَّخِذَ بَعْضُنَا بَعْضًا أَرْبَابًا مِنْ دُونِ اللَّهِ فَإِنْ تَوَلَّوْا فَقُولُوا اشْهَدُوا بِأَنَّا مُسْلِمُونَ

[22] Selon les premiers termes du deuxième Concile œcuménique de Constantinople comme nous l’avons indiqué en tête de ce chapitre.

[25] Le dernier verset de S4 est en réalité le v176, mais il est comme un codicille sans lien aucun avec ce qui précède et répondant à une question concernant l’héritage à quote-part dont les règles ont été présentées aux vs11-12 de cette sourate, voir l’Héritage des femmes selon le Coran et en islam.

[26] S4.V175 : « فَأَمَّا الَّذِينَ آَمَنُوا بِاللَّهِ وَاعْتَصَمُوا بِهِ فَسَيُدْخِلُهُمْ فِي رَحْمَةٍ مِنْهُ وَفَضْلٍ وَيَهْدِيهِمْ إِلَيْهِ صِرَاطًا مُسْتَقِيمًا   »